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« Je suis bourrée ». Revue hypnose et thérapies brèves 72.


Derrière le filtre de l'alcool, la malraitance.
Chez cette patiente souffrant d’un eczéma douloureux et envahissant, l’alcool a pris les commandes. Un travail sur cinq séances à base de questions externalisantes, de questions miracle et de métaphores a permis la disparition de l’eczéma.



« Je suis bourrée ». Revue hypnose et thérapies brèves 72.
Lors de sa prise de rendez-vous via mon secrétariat, M. précise qu’elle souhaite me rencontrer pour eczéma, tabac et alcool. Un mot apparaît dans ma tête : « tiercé », mais celui-ci, perdant. Lorsque je l’appelle pour lui proposer de décaler notre rendezvous d’une demi-heure, je tombe sur elle directement. La voix est joviale, mais indéniablement pâteuse. Je laisse ça dans un coin de ma tête, et deux jours plus tard je la reçois pour notre premier rendez-vous.

Arrivée sur le palier, elle reprend tant bien que mal son souffle, et m’annonce gaiement : « Je suis bourrée. » Il est de ces instants auxquels aucun manuel ne peut vous préparer. Que faire ? La renvoyer aussi sec, partant du principe que cette séance avait de grandes chances de disparaître dans les limbes ? Ou tenter le coup ? Je m’entends presque lui dire : « Bon (grand sourire), OK (respiration), entrez. » Elle sourit avec un air désolé, et souligne qu’elle n’a bu que du rosé. Je ne peux m’empêcher de la trouver très sympathique. Il y a quelque chose d’espiègle et d’enfantin qui se dégage de sa présence. Je lui indique la voie pour entrer dans mon cabinet, et lui propose de s’asseoir dans le fauteuil dédié aux entretiens et à l’hypnose. C’est à cet instant qu’elle se laisse tomber en arrière de tout son poids, qui n’est pas modeste, dans ce siège au design scandinave qui possède un effet rebond, si bien que je crains un moment qu’elle ne se retrouve catapultée sur le mur d’en face. Heureusement, le fauteuil tient le coup, elle tient le coup, je tiens le coup, on avance à la case suivante. L’image du jeu de l’oie traverse, impertinente, l’écran de mes pensées.

A ce stade, je ne fais rien, je me contente de laisser la scène se poser et d’évaluer la possibilité d’entrer en relation avec elle malgré le filtre de l’alcool. Quelque chose me dit qu’elle est tout de même venue, et que donc l’alcool n’a pas réussi à l’empêcher d’honorer ce rendez-vous. J’y vois un signe encourageant qui m’offre l’opportunité de lui poser ma première question.

- Thérapeute : « Qu’est-ce qui vous a incitée à venir quand même malgré le fait que vous avez consommé de l’alcool ?

- Patiente :Ah ! mais je voulais pas boire, mais c’est toujours la même chose avec moi, je tiens bon, et puis à partir d’une certaine heure ça devient de plus en plus difficile de résister. En plus, j’aime pas ça, ça me fait dormir, ça me fait mal, après j’ai des démangeaisons partout... je sais même pas pourquoi je bois !

- Th. : D’après vous, qu’est-ce qui vous amène à boire alors que vous me dites que vous n’aimez pas ça ? Comment il s’y prend l’alcool pour vous faire craquer ?

- P. : C’est quoi cette question ? (Rires.)

- Th. : Je me demande comment il s’y prend avec vous, l’alcool, pour vous amener là où vous ne voulez pas être ?

- P. : Ben, il se sert de mon histoire toute pourrie. »
Le récit de M. fait apparaître des maltraitances répétées, tant de la part d’un père alcoolique, qui se remariera et parviendra à arrêter l’alcool, que d’un beau-père qui était perçu comme très intelligent mais terriblement rabaissant. Il semblait mettre une bonne part de cette intelligence au service d’un scénario de domination et d’humiliation sur son entourage, qui craignait sa parole cinglante. Elevée avec deux soeurs en Normandie dans un milieu agricole peu enclin aux épanchements d’affection, elle est celle du milieu, et montre dès l’enfance une attirance et une excellente communication avec les animaux. Elle a d’ailleurs eu une chienne, Orlane, qui a vraiment beaucoup compté pour elle et qui s’installera naturellement comme relation ressource dans notre travail.
Sur le plan de la santé de M., sans surprise le bilan est catastrophique. Elle a réchappé miraculeusement d’un infarctus en 2018, après onze chocs qui l’ont ramenée à la vie. Elle souffre d’un eczéma envahissant qui s’aggrave avec la consommation d’alcool et lui provoque de très importantes douleurs. Elle est suivie pour son état dépressif et prend un traitement : paroxetine et Xanax en cas de forte angoisse. Voyant qu’elle n’est pas en état d’aller plus loin aujourd’hui, je reprends rendez-vous avec elle en espérant qu’elle ne l’oublie pas.


DEUXIÈME SÉANCE AVEC M.

Elle est venue ! Puisque M. me dit qu’elle n’aime pas boire, qu’elle ne sait pas pourquoi elle boit, je décide de la croire sur parole et de lui faire un questionnement décentré sur l’alcool. Je l’invite à voir comment l’alcool s’y est pris pour s’emparer d’elle et des membres de sa famille. Parmi les victimes dénombrées, un de ses oncles qui en est mort, son père, son oncle maternel, mais également beaucoup d’autres membres plus ou moins éloignés de sa famille.
Comment il s’y prend l’alcool pour recruter de nouvelles personnes dans son cercle ?
- P. : « Bah c’est festif ! Ça fait partie de la société.

- Th. : Mais encore ?

- P. : Il se sert de toutes les célébrations. Il utilise les publicités (elle réfléchit). Il se sert du mot “santé”, c’est vrai, on dit bien “à ta santé” quand on trinque ! (Rires.)

- Th : Et vous diriez quoi de quelqu’un qui fait tout ça, qui utilise la joie, la fête, les célébrations, et qui va jusqu’à utiliser le mot santé pour finalement abîmer la santé ?

- P. : Je dirais qu’il est pernicieux, qu’il est sournois. Par exemple, mon père, il jouait au PMU au bar avec ses copains. Il était pas tout seul, c’était une forme de compagnie. L’alcool, il utilise les chagrins aussi. D’abord, mon père ça a commencé par une dépression. Il a fait plusieurs séjours en HP... Il s’y prend progressivement en fait...

- Th. : Et d’après vous, c’est quoi sa meilleure stratégie ?

- P. : C’est l’aspect festif.

- Th. : Et avec vous, c’est aussi l’aspect festif ? Ou comment il s’y prend ?

- P. : Il va me faire une promesse d’aller mieux. Il va faire venir la peur du vide. Il va me permettre d’être plus détendue et d’oublier.

- Th. : Et ce truc-là, “plus détendue et oublier”, ça marche à combien ?

- P. : Je dirais à 6. Elle rajoute spontanément : Il va minimiser ses effets aussi. Là, maintenant, les jeunes, ils boivent tellement qu’ils dansent même plus. Et ils sont de plus en plus jeunes. Au bout du compte, il supprime la joie... C’est marrant, j’avais jamais vu les choses comme ça.

- Th. : Comme ça, c’est comment ?

- P. : J’avais jamais pensé dans ce sens-là, ce que l’alcool me faisait, plutôt que moi qui bois de l’alcool.

-Th. : Et qu’est-ce que ça peut changer de penser dans ce sens-là ?

-P. : De comprendre les choses autrement...

-Th. : Et qu’est-ce que “voir les choses comme ça” et “les comprendre autrement”, ça peut amener ?

-P. : Que c’est pas entièrement de ma faute... Que j’ai été mise un peu là-dedans, si j’ose dire...

-Th. : Oui, c’est à la fois quelque chose qui vous appartient et qui n’est pas tout à fait à vous non plus...

-P. : Comme si c’était dedans et dehors aussi.

-Th. : C’est ça. Observez comment cette nouvelle information peut circuler dans votre corps. Fermez les yeux si vous le voulez, et voyez comment l’alcool dedans et l’alcool dehors se mettent en relation avec l’histoire de M. Comment l’alcool a utilisé votre histoire pour s’imposer dans votre vie, alors que ce n’était pas ce que vous vouliez... Après un moment de transe, elle revient et ouvre les yeux...

-Th. : Ça va ?

-P. : Ça va.

-Th. : OK, pour terminer cette séance j’aimerais vous proposer quelque chose. C’est OK pour vous ?

-P. : Oui.

-Th. : Alors je vais vous proposer un truc... un peu étrange, peut-être... J’aimerais que sur l’écran de la main, là (j’amène dans l’espace entre nous ma main ouverte et droite comme un écran), vous laissiez apparaître Orlane, votre petite chienne. Très émue, elle fait un petit oui de la tête...

-Th. : Comme ça, voilà... Et pendant qu’une partie de vous peut s’occuper de ces larmes, une autre partie peut observer Orlane, qui apparaît là... Vous la voyez ? Elle hoche la tête toujours très émue...

-Th. : Prenez le temps d’accueillir ces larmes, de laisser votre souffle réguler naturellement cette émotion (elle commence à se sentir mieux)... Voilà, très bien. On peut continuer ? (elle fait signe que oui). Super ! Qu’est-ce qu’elle en dit de cette initiative que vous avez prise de venir ici ?

-P. : Elle est très contente...

-Th. : A quoi vous voyez qu’elle est très contente ?

-P. : Elle a les yeux qui brillent et je la vois sourire... Enfin, c’est pas vraiment un sourire parce que c’est un chien, mais c’est son sourire quoi ! (elle sourit).

-Th. : Super ! Prenez le temps de bien vous connecter avec ce sourire et de le laisser parvenir jusqu’à vous... Elle sourit et s’apaise progressivement.

-Th. : Je peux vous poser une dernière question ? (Elle acquiesce.) Alors je me demande si Orlane aurait un message à nous délivrer aujourd’hui, en lien avec notre travail... Qu’est-ce que vous la voyez vous dire, là (nous regardons ensemble l’écran de ma main, elle pleure à nouveau un peu) ?

-P. : Elle dit : “accroche-toi !” » Je fais venir ensuite ce message sur la main vers son corps et elle me demande de poser la main sur le haut de son ventre. Nous terminons la séance après qu’elle m’ait dit que cela lui donne l’idée de penser à Orlane quand c’est difficile pour elle et qu’elle a très envie de boire. TROISIÈME SÉANCE : NOMINATION DU PROBLÈME

-Th. : « J’aimerais maintenant vous proposer de regarder ce qui se passe quand vous ne vous sentez pas bien, quand l’envie d’alcool arrive ou à un autre moment... ça se passe comment ? C’est comme une petite voix ou autre chose ?

-P. : Comme une petite voix...

-Th. : Et elle dit quoi cette voix ? Elle dit quoi de M. ?

-P. :Qu’elle est nulle, qu’elle vaut rien... Ça dit : “qu’est-ce qu’elle est con celle-là !”.

-Th. : Je vois, je vois, un truc qui sape bien le moral, hein ? (elle acquiesce), une sorte de “casseur” quoi !

-P. : C’est ça !

-Th. : OK. Dites-moi, si on pose dans l’espace entre nous cette voix là qui dit que M. est nulle, con, et qu’elle ne vaut rien, et que là (je désigne un autre espace à côté), par exemple, on met Annick, Jean-Marc, votre amie Sophie, les voisins et leur fille Swan qui vous fait toujours coucou, et qu’ils vous demandent régulièrement de garder, je me demande ce que eux, ils voient de vous ? Ils vous voient nulle, stupide et sans valeur ?

-P. : Ben, faut croire que non ! (Rires.)

-Th. : Faut croire, en effet (rires). OK. Observez là (je désigne l’espace amical) ce que vous pouvez percevoir qu’ils voient quand ils vous regardent.

-P. : Ils voient que je suis gentille... que je suis drôle… C’est vrai, j’arrête pas de faire des blagues. Dès fois, ils comprennent rien parce que Annick surtout elle est un peu comme ça (elle fait le geste d’un couloir ou d’oeillères pour montrer l’aspect un peu rigide de sa voisine).

-Th. : Un peu comme ça (je reprends son geste) ?

-P. : Alors ça oui ! (Rires.)

-Th. : Et la petite Swan, qu’est-ce qu’elle voit quand elle vous voit ?

-P. : Ah ! mais moi, j’ai toujours eu le contact avec les enfants. Les enfants et les animaux. Je sais pas pourquoi. Mais depuis toute petite je suis comme ça. Elle voit que je suis gentille, je pense... que je suis rigolote... que je suis joyeuse... elle voit que je l’aime bien.

-Th. : A quoi peut-elle voir que vous l’aimez bien ?

-P. : Je lui souris. Je lui fais des grimaces. Je la fais rire...

-Th. : Et quand vous faites tout ça, lui sourire, lui faire des grimaces, la faire rire, quel message elle reçoit ?

-P. : Qu’elle peut se sentir bien avec moi, en sécurité...

-Th. : Donc, si j’ai bien compris, il y a cet espace-là, avec la voix qui dézingue M., ce qu’on s’est dit tout à l’heure, le Casseur, et là dans cet espace, il y a de la sécurité ? (elle fait oui de la tête). De la gentillesse ? (oui). De l’humour ? (oui). De l’amour ? (oui).

-Th. : Il a tout faux lui, à côté là ! (avec un grand sourire).

-P. : Oui, il a tout faux. »

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ANNE MALRAUX

Après une carrière artistique, elle s’oriente vers la sociologie puis se forme en psychologie. Formée à l’hypnose médicale à l’AFEHM en 2014, puis en thérapie narrative et à la prise en charge du psychotrauma à l’Institut Mimethys. Assure des consultations en région parisienne.


Formation en EMDR, IMO et Hypnose avec le Dr Pascal VESPROUMIS, médecin addictologue.

Médecin généraliste, Diplôme universitaire d’alcoologie à Bordeaux.
Maître de stage des universités à Rennes
Membre de la société française d’alcoologie (SFA)
DESC (diplôme d’études spécialisées) en addictologie (Faculté de médecine de Rennes) Consultant en addictologie au Centre hospitalier de St Brieuc (2000 à 2011) Coordonnateur du Centre d’addictologie de St-Brieuc (CSAPA) de 2012 à 2015
Chef de service de l’unité médicale en milieu pénitentiaire (St-Brieuc) de 2015 à 2019

À propos d’hypnose :
- Formé par Jean-Marc Benhaiem et François Roustang, au sein de l’AFEHM, Association française pour l’étude de l’hypnose médicale, dans cadre du diplôme universitaire d’hypnose médicale (Groupe Marie Curie, Pitié-Salpêtrière) 2007/2008
- Formateur pour l’AFEHM dans le cadre du module « hypnose et addictions ».
- Nombreuses interventions en facultés, cliniques et autres instituts de formation à l’hypnose
- Participation à plusieurs congrès (avec la Confédération francophone d’hypnose et de thérapie brève (CFHTB) à Biarritz (2011) et à Strasbourg (2015)
- Anime la plate-forme ACCH Atelier Clinique de la Confusion Hypnotique
- Formateur au CHTIP Collège d'Hypnose et Thérapies Intégratives à Paris. et à l'Institut In-Dolore à Paris
- Dirige un institut affilié à France EMDR-IMO ®

Préinscription à la formation EMDR, Hypnose et Addictions à Paris








Rédigé le 17/09/2024 à 12:21 | Lu 141 fois | 0 commentaire(s) modifié le 17/09/2024

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